Tradition et avenir du saké
En France, quand on entend le mot “saké”, on a tout de suite en tête l’image du digestif inconditionnellement servi dans les restaurants asiatiques. Mais cet alcool-là, fort, distillé et servi en fin de repas, n’a en fait rien à voir avec le saké japonais. La petite coupe dans laquelle il est servi, célèbre elle aussi pour ses fonds osés, ressemble certes à s’y méprendre au choko dans lequel on boit le nihonshu (le saké japonais), mais c’est bien une toute autre boisson ! Par ailleurs, le saké japonais ne se boit traditionnellement pas en fin de repas mais pour accompagner la cuisine. En raison de toutes ces différences, on ne parlera pas ici de “saké” mais de “nihonshu”.
Qu’est-ce donc que le nihonshu, que les Japonais boivent au Japon ?
Historiquement, le nihonshu est une boisson faite à partir de riz récolté et battu, accompagnant les rites comme offrande aux dieux. Ce lien traditionnel entre alcool et religion au Japon n’est pas sans rappeler celui entre le vin et le christianisme (eucharistie, vin autrefois produit par les moines, etc.). Outre son statut de boisson sacrée, le nihonshu partage d’autres points communs avec le vin :
- Alcool fermenté
- Taux d’alcool autour de 15°
- Boisson appréciée en mangeant, y compris comme mariage avec des plats
Ce n’est pas pour rien qu’on parle souvent du nihonshu comme d’un “vin de riz japonais”…
Aujourd’hui de nihonshu
L’image du nihonshu comme boisson de restaurant japonais, accompagnant des sushis par exemple, est fortement ancrée. Il est vrai que sa forte teneur en acide aminé et acide succinique lui permet de s’accorder extrêmement bien avec les poissons et les fruits de mer. Par ailleurs, là où le vin se mêle harmonieusement avec la graisse des viandes et des produits laitiers, le nihonshu se marie très naturellement avec des plats dont les accords sont difficiles pour le vin (saveurs marines, iodées, salines ou acides), ou encore remarquablement, grâce à son umami, avec les soupes qui se marient habituellement très mal avec l’alcool. A notre époque où la cuisine est plus diversifiée que jamais, le saké japonais est un remarquable allié du vin dans l’optique des mariages entre mets et boissons, qu’il complète en accompagnant harmonieusement les plats avec lesquels le vin ne permet pas des accords heureux.
Aujourd’hui, on ne peut que se réjouir de trouver de plus en plus le nihonshu ailleurs que dans les restaurants japonais : au bar des palaces, dans les restaurants français gastronomiques et même les bistrots. On voit même apparaître une mode des cocktails à base de liqueur de yuzu et de saké japonais. Le nombre d’enseignes, outre les magasins de produits japonais, auprès desquelles il est désormais possible de se procurer personnellement du nihonshu ne cesse de croître : caves à vin, grands magasins, sites d’e-commerce, etc.
Les différents arômes et saveurs du nihonshu
Il est possible de séparer de manière schématique et très simple à comprendre le spectre aromatique et gustatif du saké japonais en deux grands types. D’un côté, le type moderne qui possède un caractère floral, fruité (banane, pomme, melon, etc.), aromatique et frais. Ce sont par exemple les ginjo-shu ou les namazake. De l’autre côté, l’archétype classique, traditionnel, qui est quant à lui marqué par des arômes et des saveurs de légumes, de céréales, mais également d’épices. Il comprend aussi les sakés vieillis (jukusei-shu), caractérisés par des notes de fruits secs, voire de torréfaction.
principalement ginjo-shu et daiginjo-shu |
principalement namazake, honjozo, futsu-shu |
principalement junmai-shu, kimoto, yamahai |
principalement koshu, kijoshu |
Le goût particulier du nihonshu
Pour produire du vin, on fait fermenter le jus de raisin pressé. Pour produire le nihonshu, procedé appelé “sakéification”, on polit, on cuit le riz et on fait fermenter le riz, auquel on ajoute de l’eau de source des montagnes. De même qu’il y a différents cépages pour le vin, il y a de nombreuses variétés de riz, et chacune possède son caractère et ses saveurs propres. Il existe encore bien d’autres points communs avec le vin, mais un trait est unique au saké japonais : c’est le fait de polir le riz. C’est une étape décisive et une spécificité passionnante de la fabrication du saké japonais qui permet d’en faire varier grandement les arômes et les saveurs.
A propos des accords, du service et de la température
La question de savoir avec quoi boire le nihonshu est aussi importante que pour le vin. La cuisine et la situation influent sur le choix du saké japonais et la manière de le boire. Le fait de pouvoir boire le nihonshu aussi bien chaud que froid est une autre de ses particularités qui concoure à sa grande versatilité. Avec autant de types différents de saké japonais et de façons possibles de le boire, peut-on toujours prétendre qu’il ne va qu’avec la cuisine japonaise ? Avec une entrée simple, légère, autour des légumes, on recommandera un saké moderne, léger, de type namazake par exemple. Les sakés ginjo modernes, plus ou moins aromatiques, se marieront également très bien avec les fritures, les plats salés et citronnés. Si ces fritures sont servies avec un bouillon, on privilégiera en revanche un saké junmai, dont les saveurs traditionnelles s’accorderont aussi particulièrement bien avec des plats plus corsés comme des gratins ou de la viande grillée en sauce. Pour aller plus loin encore, un foie gras poêlé ou un fromage de type roquefort se marieront à merveille avec un koshu (saké vieilli) ou un kijôshu (saké fermenté à l’alcool). Quant aux desserts, ils s’accordent étonnamment bien avec les ginjo modernes. Naturellement fruités et floraux, les ginjo s’apprécient particulièrement dans des verres à vin, où ils développent tout leur bouquet. Quant au junmai, il est particulièrement agréable dans des coupes à boire d’un trait. Sa forte teneur en umami permet en outre de le boire à température ambiante ou de le chauffer pour en exalter la saveur.
L’avenir du nihonshu
A l’heure actuelle en France, pays des gourmets, on trouve de plus en plus fréquemment dans la cuisine des ingrédients japonais jusqu’ici rares (thé vert, yuzu, miso, katsuo, tosa-zu, algues nori, wasabi, etc.). Le développement de la culture gastronomique japonaise en France et son intégration à la cuisine moderne française sont une évolution très positive et réjouissante. Nous ne pouvons que souhaiter que, dans cet environnement favorable, le saké japonais devienne lui aussi une boisson appréciée au quotidien par les Français !
Kampaï !